Kael et moi avons planifié une petite expédition à Londres, profitant de nos derniers jours de vacances respectifs. Et puis, nous ne sommes pas vus depuis longtemps et nous avons du temps à rattraper et une excursion londonienne pour le week-end semble être une bonne idée pour se raconter notre été et faire des choses amusantes. Nous nous retrouvons donc là-bas, à la patinoire. En voilà une bonne... Mais Kael et moi avons le coup des sorties un peu originales et n'avions nullement envie de nous retrouver à boire un verre dans un énième bar. Si je le retrouve régulièrement mais que je ne le fréquente pas non plus tous les jours, c'est précisément parce qu'avec lui je m'échappe de mes préoccupations et qu'il me change de mon cercle d'amis habituels. Je les adore, certes, mais la présence et l'énergie qu'il me paraît parfois trop pour mes minces épaules. Je ne suis qu'humaine et mon amitié avec Kael m'aère l'esprit.

Amusée, je grille une cigarette devant l'entrée, en attendant qu'il arrive. J'ai pour habitude de patienter, mais il ne tarde pas tellement. Personne ne sera jamais aussi en retard que Christopher, aussi je ne m'en offusque pas. Je lui prends le bras « J'espère que tu es prêt ! » Nous nous engouffrons dans l'arène, assez littéralement d'ailleurs. Nous payons puis allons louer nos patins, que nous enfilons, installés sur un petit banc prévu à cet effet. Je n'ai pas vraiment l'habitude, j'allai parfois patiner quand j'étais enfant, avec ma mère et ma soeur et j'en garde de relativement bons souvenirs, pour selon qu'ils impliquent cette partie de ma famille. Je noue donc les lacets assez vite, me redresse et fais quelques pas de cette démarche bizarre que confère les patins lorsqu'on ne les emploie pas sur la glace. Je jette un oeil à Kael, qui a l'air encore plus maladroit que moi et pose finalement un pied, puis deux, sur la surface lisse. Je me laisse emportée, essayant de retrouver les mouvements que m'avait vaguement enseigné mon aînée. Je ne suis pas des plus connues pour ma pratique sportive et mon sens de l'équilibre, tangue un peu, mais parviens à rester droite dans mes bottes. Enfin, vous avez compris.

Je m'apprête à avancer un peu plus vite, retrouvant mes lointains repères quand soudain, je sens des mouvements frénétiques derrière moi. J'ai à peine le temps de me retourner que je vois Kael foncer droit sur moi. Ses pieds ne semblent plus du tout réagir et ses jambes s'agitent comme celles des personnages de dessin animé lorsqu'ils tombent. Ca ne manque pas d'ailleurs et il me tombe droit dessus. Je bascule en arrière et m'étale sur l'eau gelée, Kael m'écrasant de tout son poids. Je grommelle, lui donne un petit coup de poing dans l'épaule et marmonne « Mais qu'est-ce que vous avez tous à me tomber dessus en ce moment? » Puis, à voix plus intelligible, je demande « Première fois je suppose? » J'esquisse un sourire en coin, ris, puis prends appui sur lui pour me redresser puis lui tends la main pour l'aider à mon tour.

Un retour à Londres, je n’y ai pas mis les pieds de tout l’été, malgré les appels incessants de ma mère qui souhaitait me voir au plus vite. Moi ? L’éviter . Absolument pas, je m’abstiens seulement de la voir ; écouter ses complaintes sur le fait d’avoir un fils qui n’est toujours pas casé avec une femme, j’en ai assez entendu depuis quelques années ! Cependant, je remis les pieds à Londres pour une sortie avec Rose, qui avait choisi l’endroit où nous allons nous retrouver. Tous les deux, nous avons l’habitude de trouver des idées les plus bizarres et originales pour nous sortir de notre quotidien ! Cette fois, c’était à Rose de trouver une idée de sortie : la patinoire. Je n’étais pas très confiant à l’idée d’y aller… J’y allais souvent avec ma mère et ma sœur lorsque nous étions plus jeune ; mais jamais je n’avais réussi à tenir debout plus de cinq minutes… Peut-être que des années plus tard, mon équilibre était rétabli ! Disons que tout ce qui touche de près ou de loin au sport ne fait pas bon ménage avec moi… Me voici face à la patinoire, avec quelques minutes de retard ; je n’ai pas pour habitude d’arriver à l’heure, il y a toujours des imprévus lors de mon départ, et là, c’était mes clefs d’appartement qui avait disparu.

« J'espère que tu es prêt ! » Je souris légèrement, et je m’approchais d’elle pour l’enlacer. « Bien sûr que je suis prêt, je suis du genre à exceller en patins ! » Ahah, mais bien sûr, jubile avant de te rétamer sur la glace gelée ! Lorsque nous entrons dans la patinoire, ma confiance commençait à s’estomper peu à peu… Dans quoi je venais de m’embarquer ! J’aurais dû refuser l’idée de cette partie, et lui proposer autre chose ! Non c’est un challenge à relever, qui sait, j’allais peut-être me surprendre sur la glace ! Alors que j’enfilais les patins, je regardais Rose marcher avec les siens. Un rire me prend, « T’es sexy chérie dans ta démarche ! » C’est à mon tour de marcher avec ces chaussures de torture. Je suis plus maladroit que ce que je ne pensais… Un pied sur la glace, je sens que cela glisse… puis l’autre pied… Je me tiens à la rambarde de peur de tomber ! J’essaye de regarder en face de moi, et je vois Rose s’en sortir bien mieux que moi ! Rapidement, je lâche la rambarde et je glisse vers Rose. Seulement, je me sens trop glisser, et je ne parvenais plus à maîtriser mes mouvements ! Mes pieds ne voulaient plus réagir comme je voulais, et bien évidemment, je fonce vers Rose sans le vouloir –ou pas–. Je tombe sur elle, la pauvre… mais au moins, c’est elle qui reçoit toute la glace gelée… « Mais qu'est-ce que vous avez tous à me tomber dessus en ce moment? » Tous ? Hmmm, je voudrais bien en savoir plus sur cela ! Je la fixais avec mon large sourire, « Tu sais que j’aime être au dessus de toi ! ». J’attrape sa main pour me relever, « Mais non, ce n’est même pas la première fois ! Je suis patineur professionnel en plus ! Ca ne se voit pas ? » J’essaye de me relever, tant bien que mal ! Je parviens à me mettre sur les deux pieds debout mais je me rattrape au corps de Rose pour ne pas retomber une seconde fois. Dans quoi me suis-je embarqué ? Comment je vais m’en sortir ! Rose m’attrape la main pour m’aider à patiner.

« Tu sais que j’aime être au dessus de toi ! » Je manque de m'étrangler de rire en l'entendant dire ça et préfère ne pas laisser mon esprit divaguer dans cette direction. Il se relève péniblement et j'ai du mal à croire qu'il a déjà chaussé des patins, mais il affirme néanmoins « Mais non, ce n’est même pas la première fois ! Je suis patineur professionnel en plus ! Ca ne se voit pas ? » Je hausse un sourcil, plus que dubitative et rétorque avec cynisme « Pas franchement non, t'as du perdre la forme en vieillissant. » Je lui tire la langue, puérile au possible, mais le laisse toute de même s'agripper à mon bras pour ne pas se rétamer une nouvelle fois. Prudemment, j'amorce quelques nouveaux pas, tandis qu'il s'acharne à vouloir marcher sur la glace. « Tu vas jamais y arriver, il faut glisser pas piétiner. Regarde, un pied après l'autre, c'est pas si compliqué ! » Enfin... Je ne suis tout de même pas une grande pro et je vais éviter de trop me la ramener. Ma prétention risque de me valoir une belle chute si je ne reste pas concentrée.

Nous faisons quelques tours de patinoires, à une vitesse d'escargots sous tranquilisants, mais Kael prend un rien d'assurance et j'apprends à m'habituer de nouveau à cette activité, qui n'a rien de naturel. Autant l'homme peut être naturellement porté à courir ou nager, autant tenir en équilibre sur de la glace, avec des chaussures munies de lames de fer, n'a rien d'une pratique inhérente au genre humain. Mais je prends le coup de main, enfin de pied, tandis que mon ami semble apte à tenter une nouvelle fois la glisse en solo. Je lâche sa main et lance « Vas-y ! » comme on crierait à un oiseau qui vole pour la première fois. Je le laisse donc s'envoler et m'immobilise, aux aguets. Je l'observe, il se débrouille, prend de la vitesse puis finalement perd le contrôle et s'aplatit de tout son long, sur le ventre. Je grimace, imaginant que la chute a été douloureuse, mais ne peut m'empêcher de rire. J'accours au plus vite, mais dans ma précipitation, tombe à mon tour, atterrissant droit sur le pauvre garçon. Juste monnaie de sa pièce cela dit. « Haha désolée, mais il faut bien inverser les rôles ! »

Cette fois, nous peinons à nous redresser et finalement, nous échouons contre la paroi. Dos à celle-ci je reprends mon souffle puis, voyant Kael trempé, décoiffé et visiblement pas dans son élément, je ne peux retenir le fou rire qui me gagne et manque de glisser encore, me rattrapant juste à temps à son épaule. Nous parvenons à ne pas nous ridiculiser d'avantage et je ne peux empêcher d'ironiser « Décidément, on est pas doués pour ça darling. » Et c'est le moins qu'on puisse dire, je suis prête à parier que la petite fille en rose, qui tourne comme une ballerine depuis dix minutes, se fiche royalement de notre figure. Je lui lance un regard noir lorsqu'elle passe à ma hauteur, provoquant un regard inquiet et une mine étonnée, qui me réconforte un petit peu.

Grâce à cette sortie patinoire, je fis connaissance d’un autre côté de la personnalité de Rose, ce côté enfantin et espiègle, lorsqu’elle s’amusa de moi quand je tentais de me relever. Patiner c’est comme marcher mais sur de la glace ? Je ne parvenais pas à être en confiance, et les patins commençaient à me faire un mal de chien. « Tu vas jamais y arriver, il faut glisser pas piétiner. Regarde, un pied après l'autre, c'est pas si compliqué ! » Pas si compliqué ?! J’ai l’impression d’être un débile qui ne sait pas mettre un pied devant l’autre ! Glisser… Mais si je me laisse glisser, je ne vais plus être maître de mes pieds et c’est à ce moment-là que je vais tomber… J’aimerais tout de même bien voir Rose tomber, au moins je me sentirais moins seul d’être vraiment mauvais au patin ! Malgré tout, après quelque temps sur la glace, je commence à prendre mes marques, à trouver mes repères. Je ne pensais pas que cela aurait été possible après mes débuts plus que catastrophiques ! Je reste peu confiant, d’où notre vitesse si… lente ! Lorsque Rose se rend compte que je commence à être plus confiant, elle me lâche la main et me crie d’y aller comme un gosse qui apprend à marcher pour la première fois ! « MAIS T’ES FOLLE !! Je vais écraser un de ses gamins ! » Je tente de ne pas me déconcentrer, tentant tant bien que mal de glisser sur la glace sans perdre le fil… je prends de la vitesse… un peu trop à mon goût d’ailleurs ! Et l’inévitable arriva… de nouveau ! Je m’éclate au sol, à plat ventre, parvenant à n’écraser aucun mioche ni à m’assommer la tête contre la glace ! Je grimace légèrement, c’est froid, très froid… « Bordel ce truc est inhumain ! » Puis, je sens un poids sur moi ! « Haha désolée, mais il faut bien inverser les rôles ! » Je me mis à sourire, finalement, elle n’est pas aussi douée que moi, c’est rassurant ! « J’aime t’avoir au-dessus de moi aussi… De toute façon, j’aime dans n’importe quelle position ! »

J’émis un léger rire, puis nous nous relevons avec beaucoup de difficultés cette fois. La preuve, nous avions heurté la paroi de la patinoire ! Je restais assis sur la glace gelée, trempé et décoiffé ! J’essayais de me recoiffer légèrement, afin d’être plus à mon avantage…Bien sûr, de me voir ainsi, Rose se mit à rire, ce qui entraîna le mien. Nous n’étions définitivement pas à l’aise sur la glace… nous l’étions plus dans une chambre d’ailleurs ! Je regardais Rose qui se mis à lancer un sale regard à la petite fille qui nous tourné autour depuis quelques minutes… Elle, elle était à l’aise sur la glace, et alors ? On ne peut pas être tous parfait ! Je posais mon regard sur Rose, me relevant tout doucement, « On prend une pause pour boire un verre, le temps que je sèche, et après on tente une nouvelle fois ! Je veux parvenir à faire plusieurs tours, seul, sans tomber ! » Très clairement, ce n’était pas gagné, je le savais ! Mais j’essayais de rester positif, comme à mon habitude ! A mon entrée dans la patinoire, j’avais vite remarqué le café qu’il y avait à l’intérieur de l’enceinte. Je me doutais que j’allais vite y entrer pour arrêter de patiner…

« Bordel ce truc est inhumain ! » Ca aurait pu être pire, il aurait pu hurler « Aaaah mais c'est froiiid ! » L'idée est néanmoins la même et une rire moqueur s'échappe de mes lèvres, presque malgré moi. Je fais un peu moins la fière une fois tombée, mais je parviens à sauver l'honneur avec un rien d'humour. Kael ne manque pas de me rejoindre sur ce terrain et glisse « J’aime t’avoir au-dessus de moi aussi… De toute façon, j’aime dans n’importe quelle position ! » Je lui assène un sourire en coin et réplique « Mais je n'en doute pas ! » avant de déposer un chaste baiser sur sa joue. Il faut en garder un peu pour plus tard, on ne va pas gâcher la fête. Je m'amuse en le voyant se débattre pour tenter de retrouver une position un tant soit peu digne et il me porte le coup de grâce en essayant de se recoiffer. Assis là, au milieu de la patinoire, il essaie de remettre ses cheveux désordonnés en place, telle une starlette qui sort de boîte de nuit et se sait attendue au tournant par une horde de paparazzis. Je ris de la situation et de sa posture, de sa difficulté à se redresser. Mais je m'accroche moi-même à la barrière pour ne pas m'écrouler littéralement de rire.

Finalement, à ce qui semble être sa vitesse de croisière, il se redresse et dit « On prend une pause pour boire un verre, le temps que je sèche, et après on tente une nouvelle fois ! Je veux parvenir à faire plusieurs tours, seul, sans tomber ! » J'hausse un sourcil, en me disant que si on commence à faire des pauses maintenant, on ne retournera jamais sur la glace. Mais il a l'air déterminé à (se) prouver qu'il est capable de faire le tour d'une patinoire sans se transformer en serpillère dégoulinante, aussi j'accepte rapidement. Avec peine, nous quittons l'arène et marchons maladroitement jusqu'au café. Ses patins ne sont décidément pas pratique. Je m'échoue misérablement sur une table, pensant ne jamais être capable de me lever. Une serveuse d'un blond décoloré arrive à pas lents, mâchonnant un chewing-gum avec une grâce de bovidé. Je lui lance un regard dédaigneux, fidèle à moi-même et commande un cappuccino. Je laisse traîner un billet sur la table, estimant que cet endroit ne vaut certainement pas une telle somme.

Nos commandes arrivent, ma tasse est pleine d'une chantilly bas de gamme et du café a coulé sur la tasse. Je regarde la serveuse, vulgaire et bourrue à souhaits. Elle pose nos commandes comme deux sacs poubelles sur la table et récupère l'argent sans un mot. Je lui jette un ultime regard noir et observe ma tasse, dubitative « Tu crois qu'elle a craché dedans? Ou un truc du genre? J'ai pas terriblement confiance... » L'endroit puait l'huile de frites et tout le personnel semblait sorti du même moule que la blondasse impolie. Cela ressemblait vaguement à un Tarentino... Il ne manquait plus d'une fusillade ou le déhanché de John Travolta.